Gardons l’immobilier commercial américain à l’œil

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L’immobilier commercial va mal depuis la crise sanitaire. C’est vrai en Europe et aussi aux USA. Le retour de Donald Trump et surtout la création du DOGE risquent d’aggraver les choses outre-Atlantique. Surveillons cela de près, car les conséquences pourraient désagréables pour tout le monde.

Depuis la crise sanitaire de 2020, les habitudes de travail ont radicalement changé : l’essor du télétravail et la baisse de fréquentation des centres villes nuisent à l’immobilier commercial. Ce phénomène est bien connu et touche de nombreuses villes du monde. La réélection de Donald Trump risque d’ailleurs de frapper encore un peu plus durement ce secteur déjà mis à rude épreuve. Il faut surveiller cela de près, car les banques régionales américaines sont extrêmement exposées à ce secteur en difficulté depuis le covid. Il ne faudrait pas qu’une crise bancaire s’ajoute au tableau déjà si complexe de l’économie mondiale en 2025. Souvenons-nous de l’onde de choc provoquée par la faillite de la Silicon Valley Bank en mars 2023…

Le DOGE (le département pour l’efficacité du gouvernement) de l'administration Trump envisage en effet de se débarrasser d'une grande partie de l'espace de bureau que loue la GSA (General Services Administration, une agence indépendante qui aide à la gestion et au fonctionnement des autres agences fédérales) en fournissant notamment des espaces de travail pour les employés fédéraux. Le DOGE envisagerait la vente d’espaces de bureaux que le gouvernement possède, ainsi que la résiliation des espaces de bureaux loués, dès que le bail peut être résilié – c’est-à-dire dès 2025 pour un certain nombre de bâtiments. Le gouvernement possède pas loin de 10.000 bâtiments à travers le pays et paie $5,2 milliards par an de loyer pour ces bureaux.

Immobilier délaissé

Une partie importante de ces bureaux est actuellement vacante (17%) ou sous-utilisée, et mal entretenue en raison d'un manque de financement. Une étude du DC Policy Center publiée en avril 2024 avait révélé que seulement 12% des bureaux fédéraux à Washington DC étaient occupés, reflétant une faible présence des employés sur site. A titre d’exemple, au département en charge de l’agriculture, où travaillent plus de 7.000 personnes, le taux d’occupation des bureaux était d’à peine 6% et n’a vraisemblablement pas augmenté depuis. Washington DC sera particulièrement concerné par les mesures qui seront prises par le DOGE, car le gouvernement fédéral y occupe à lui seul environ 10% de la totalité des bureaux disponibles.

Le secteur des bureaux est déjà en dépression dans tout le pays, avec des taux de défaut qui dépassent ceux des pires moments de la crise financière. La mise en vente de cet inventaire pèsera inévitablement sur les prix déjà bas des anciens immeubles de bureaux – des prix inférieurs de 50 à 70% à ceux de la dernière vente avant la pandémie sont désormais courants.

Chute des prix

La résiliation des baux va engendrer encore plus de stress pour les propriétaires et les organismes qui ont financé ces immeubles de bureaux, ce qui entraînera probablement plus de défauts de paiement et de ventes forcées. Il s'agit d'un remède nécessaire mais très amer pour réduire le gaspillage gouvernemental.

Impact pour les propriétaires et les prêteurs

Un examen conduit par la société Trepp, l’un des principaux fournisseurs de données, d'analyses et de solutions technologiques pour les marchés du financement structuré de l'immobilier commercial (CRE) a analysé les espaces de bureaux loués, dont les baux peuvent être résiliés en 2025 et jusqu'en 2028. Et le constat est flagrant :

  • Jusqu'à la fin du mandat de Donald Trump, en 2028, la GSA a le droit de résilier les baux de 35% des espaces loués, répartis sur plus de 2.500 propriétés.
  • Rien qu’en 2025, la GSA peut mettre fin au bail de plus de 9% des espaces loués, répartis sur plus de 500 propriétés.
  • La résiliation de tous les baux qui peuvent l’être d’ici 2028 conduirait le gouvernement à économiser $1,87 milliard en loyer annuel après 2028.

Le secteur de l'immobilier commercial est en pleine dépression, et la dette des bureaux ne cesse de s'aggraver. Le taux de défaillance des prêts hypothécaires de bureaux qui ont été titrisés (CMBS) aux Etats-Unis a atteint un record de 11% fin 2024, dépassant le pic de la crise financière de 2008. La dégradation semble spectaculaire si on la compare au point bas atteint en 2022 (taux de défaut de 1,6%). Il faut toutefois se souvenir qu’à l’époque, en pleine tourmente inflationniste, la devise dans le secteur de l’immobilier de bureau était de survivre coûte que coûte en espérant des jours meilleurs et, surtout, des taux d’intérêt qui finiraient par baisser. Les propriétaires de ces bâtiments et leurs banquiers avaient fait l’autruche, se disant que la crise finirait par passer. Comme en Espagne en 2008, les banques avaient opté pour la technique du « extend and pretend » qui consiste à prolonger les crédits pour ne pas devoir les dénoncer. Ceci explique pourquoi les défauts étaient si bas en 2022, alors que le secteur était en crise.

Nous sommes à présent en 2025, et le DOGE a été créé pour faire des économies dans les dépenses de fonctionnement du gouvernement fédéral… Une situation qu’il va falloir suivre de près !