Stablecoins : quel pouvoir d’attraction ? (partie 2)
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Les stablecoins offrent une solution rapide et peu coûteuse pour les paiements transfrontaliers. Elles suscitent aussi de nombreuses questions.
Stablecoins : quel pouvoir d’attraction ?
Avec le GENIUS Act, les États-Unis optent sans hésiter pour les stablecoins – et donc pour les acteurs privés – comme alternative au dollar numérique. Une monnaie numérique publique, une MNBC (monnaie numérique de banque centrale) de détail qui serait émise directement par la banque centrale aux citoyens, est explicitement interdite. Selon les républicains, une telle devise menacerait « la liberté personnelle et la vie privée des Américains ». À Washington, le dollar numérique n’est donc pas mort, mais bien privatisé.
Les nouveaux bailleurs de fonds
Avec l’entrée en vigueur de la loi, seuls les « Permitted Payment Stablecoin Issuers » peuvent émettre légalement des stablecoins. Leur modèle commercial est à la fois simple et brillant : on émet un avoir numérique en dollars, les utilisateurs l’utilisent pour payer et l’émetteur investit les liquidités reçues dans des actifs à court terme ultrasûrs. La marge ? La différence entre un taux d’intérêt nul pour l’utilisateur – l’intérêt est interdit – et un rendement positif pour l’émetteur qui investit dans des certificats de trésorerie, du cash ou des pensions. C’est comme une banque, la licence en moins, mais avec une communauté loyale et des marges potentiellement hallucinantes. Tether a rapporté un bénéfice opérationnel de 54 milliards de dollars en 2024. Avec un effectif estimé à 100 ETP, cela revient à un revenu incroyable de 535 millions de dollars par employé. Tether et Circle sont de loin les principaux émetteurs de stablecoins aujourd’hui.
Pourquoi une entreprise devrait adopter les stablecoins
- Rapidité : Les stablecoins circulent sur le réseau blockchain, ou « on-chain » : la notification, le règlement et la réconciliation s’effectuent dans une seule mise à jour du grand livre. Cela rend les paiements presque instantanés. Et c’est surtout un avantage lorsque les paiements sont effectués au-delà des frontières. Les banques correspondantes traditionnelles sont bien moins réactives, surtout pour les paiements vers des pays avec des systèmes de paiement moins développés.
- Frais : Ici aussi, l’avantage le plus important concerne les paiements internationaux. Selon le Boston Consulting Group (BCG), les frais dans les banques classiques peuvent atteindre 13,6% du montant. Chaque étape du système (taux de change, banques correspondantes, fees) est un jeu d’enfant. Même les paiements nationaux par carte ne sont pas gratuits : les « swipe fees » s’élevaient à pas moins de 224 milliards de dollars aux États-Unis en 2023, avec des marges bénéficiaires de 35% pour les émetteurs de cartes comme Visa, selon l’agence de conseil en paiements CMSPI.
En comparaison, les frais de transaction sont minimes sur la blockchain. Les coûts de fonctionnement (aussi appelés « GAS fees ») varient fortement en fonction de la congestion du réseau. En mai 2024, ils oscillaient de 0,02 à 3,33 dollars par transaction sur Ethereum-USDT, ce qui reste minime. Mais il y a aussi des bémols à ce sujet : l’entrée et la sortie (« on/off-ramping ») de la monnaie-fiat (les billets de banque traditionnels et la monnaie) en stablecoin peut coûter jusqu’à 7%, selon BCG. Et si les entreprises veulent passer aux stablecoins, elles doivent redessiner tout leur back-office : nouvelles procédures, systèmes de trésorerie, règles de compliance… La blockchain est rapide, mais l’entreprise doit suivre.
Envois internationaux de fonds : dollars sans frontières
Les particuliers peuvent également effectuer des paiements via des stablecoins. Ici aussi, c’est surtout intéressant pour les paiements transfrontaliers. Prenons Juan, qui envoie 200 dollars américains à sa famille au Mexique. Via une application comme Wise, il paie environ 3,50 dollars, plus des frais d’échange. L’argent arrive en quelques minutes, voire quelques heures.
Mais avec une stablecoin comme l’USDC, c’est encore plus rapide et moins cher : faibles coûts de transaction et traitement quasi instantané. Mais… la famille doit convertir l’USDC en pesos, ce qui peut coûter 4 à 10 dollars supplémentaires, en fonction des fournisseurs de cryptomonnaies locaux. Ces coûts vont diminuer, mais pour l’instant, l’avantage est donc relatif. Néanmoins, selon Tokenised Newsletter, 10% des transferts d’argent à travers le monde passent déjà par des stablecoins ou des cryptomonnaies.
Les stablecoins prospèrent surtout dans les pays dont la monnaie est faible ou instable, comme le Nigeria ou la Turquie. Là, on préfère les dollars numériques à l’inflation locale. Rien qu’en Turquie, les achats de stablecoins ont atteint un montant hallucinant de 38 milliards de dollars sur 12 mois jusqu’en mars 2024, soit 4,3% du PIB. Mais tout comme pour les entreprises, il y a aussi des obstacles chez les particuliers. Tout le monde n’a pas la même connaissance du numérique et les risques de fraude restent réels. La réglementation doit encore être mise au point dans de nombreux pays. Mais avec le GENIUS Act, ce processus s’accélère.
La fidélisation des clients comme super pouvoir
Le véritable eldorado pour les émetteurs de stablecoins ? La fidélisation des clients. Qui émet une pièce de monnaie construit sa propre mini-économie. Et les effets réseau font le reste. Imaginez que Walmart lance le « Wal-coin ». Plus les gens l’utilisent, plus la confiance augmente – et plus les autres entreprises sont susceptibles de l’accepter. Ce qui commence comme une carte de fidélité peut finir comme un système de paiement parallèle.
Chaque utilisateur supplémentaire génère plus de revenus d’intérêts. Walmart peut réinvestir ce produit dans des promotions, des frais inférieurs ou des systèmes de points. Dans le même temps, l’entreprise économise des millions de frais de carte qu’elle doit autrement partager/céder aux sociétés de cartes de paiement. Au fur et à mesure que l’écosystème se développe, il devient même attrayant pour d’autres entreprises de se lancer. La devise qui l’emporte gagnera plus – bienvenue dans « L’économie des gagnants ».
Mais la bataille est loin d’être gagnée. Les consommateurs passeront-ils massivement aux stablecoins, et ce, également pour les paiements nationaux ? Les cartes de paiement sont profondément intégrées, avec des avantages tels que des remboursements en cas d’erreur et une protection contre la fraude intégrée. Les transactions Blockchain sont définitives : ce qui a été transféré ne reviendra plus. La concurrence se joue sur la facilité d’utilisation, la vitesse et le coût. En fin de compte, « the proof of the pudding is in the paying ».
