- 31/10/2024

Video : Harris vs Trump

Harris contre Trump: l’élection du siècle ? Dans le cas d’un « gouvernement divisé », l’éléphant accouchera d’une souris. Si les Républicains obtiennent une majorité au Sénat et les Démocrates à la Chambre des représentants, ni Donald Trump ni Kamala Harris n’aura accompli grand-chose en matière de législation intérieure. Pour ce qui est de la politique extérieure, en revanche, le ou la nouvelle présidente gardera une marge de manœuvre importante. Et à ce niveau-là, la poursuite du divorce entre les États-Unis et la Chine sous Harris s’annonce beaucoup moins radicale que l’isolation et la fragmentation qu’envisage Trump.

Ecrit par

Koen De Leus

Chief Economist

Gauche contre droite

La politique proposée par Harris et celle proposée par Trump ont quelques aspects communs. Toutes deux sont protectionnistes – à un degré variable, mais nous y reviendrons dans quelques instants. Toutes deux visent une réindustrialisation des États-Unis, et l’Inflation Reduction Act répond à ce besoin. Le côté « vert » de cet IRA ne plaît pas totalement à Trump. Mais vu qu’à l’heure actuelle, le flux des subsides profite surtout aux états républicains, c’est un programme qu’il tolèrera. Enfin, les deux candidats ne voient pas d'inconvénient à ce que les dettes continuent de s’accumuler. Le risque d’atteindre le pic historique des 106% de dette publique nette, comme après la Deuxième Guerre mondiale, est extrêmement élevé.

Les sondages d’opinion tablent sur un Congrès divisé. Les Républicains devraient obtenir la majorité au Sénat, et les Démocrates à la Chambre des représentants. Il n’y aura donc pas beaucoup de marge de manœuvre pour lancer de grandes initiatives intérieures. Ce n’est qu’en cas de victoire complète de l’un des deux camps que nous verrons des différences de politique importantes à ce niveau.

Harris prône un programme « de gauche », qui vise à mettre de l’argent dans les poches des personnes moins favorisées. Pour ce faire, elle compte augmenter les allocations familiales, renforcer l’offre immobilière pour tempérer la pénurie et la hausse des prix des maisons, et contrôler les prix des produits de base et des médicaments. Harris souhaite aussi faire passer l’impôt sur les sociétés de 21 à 28% et imposer davantage l’achat d’actions propres, ainsi que la plus-value et les dividendes. Une politique qui ne sera donc pas profitable à la bourse.

Trump, sans surprise, prône quant à lui un programme plus à droite. Avec une nouvelle réduction de l’impôt actuel de 21% sur les sociétés et une prolongation intégrale du « Tax Cuts and Jobs Act » qu'il avait instauré en 2017. Cette loi prévoit d’accélérer la déductibilité des investissements et de réduire les droits de succession. Son programme est plus favorable aux entreprises et s’adresse plutôt aux classes moyennes et moyennes supérieures, même si des cadeaux sont prévus aussi pour les moins favorisés. Mais cela veut dire aussi que les dépenses nettes sous Trump seraient encore plus élevées que sous Harris.

Dans un scénario global pour l’un des deux partis, nous estimons la croissance supplémentaire à 0,2% par an en cas de triomphe total des Républicains, contre un peu moins de 0,1% par an en cas de victoire des Démocrates. Si les Républicains l’emportent, les bourses recevront un coup de pouce. Dans les deux scénarios, l’effet positif de la hausse des dépenses sur la croissance fera légèrement grimper les taux d’intérêt et le dollar américains. Attention : cet effet sur le dollar pourrait devenir soudainement beaucoup plus fort si Trump décide d’augmenter les tarifs douaniers.

Bifurcation contre fragmentation

Trump a annoncé qu’il souhaitait instaurer une taxe à l’importation de 10% pour tous les pays industrialisés et de 60% pour les produits chinois. Il peut y arriver via un « presidential executive order », qui lui permettrait de se passer de l’approbation du Congrès. Une telle décision pourrait entraîner un choc inflationniste énorme, ce qui serait une sérieuse balle dans le pied pour les États-Unis. Plus dramatique encore, l’effet néfaste de cette politique sur la mondialisation, qui a apporté tant de prospérité au monde ces dernières décennies.

Ce qui nous amène à l’impact géopolitique le plus important de cette élection. Au niveau mondial, il s’agit de choisir entre la bifurcation et la fragmentation. Si Kamala Harris devient présidente, la division progressive du monde entre la Chine et les États-Unis se poursuivra tout simplement. Les États-Unis priveront la Chine d’une technologie importante, tandis que la Chine limitera ses exportations de matières premières essentielles, par exemple. Au final, le reste du monde devra peut-être choisir à quel camp il se rattachera.

Si Donald Trump devient président, c’est le scénario de la fragmentation qui s’annonce. La politique « America First » est synonyme d’isolationnisme, comme celui qui régnait aussi avant la Deuxième Guerre mondiale. Ce qui risque de mettre fin à 80 ans de Pax Americana, marquée par une paix internationale relative. Et qui provoquerait aussi un choc gigantesque pour l’Europe. Mais c’est peut-être justement le coup de fouet dont l’Europe a besoin pour se transformer en une région plus soudée et compétitive.