- 9/9/2024

Alerte sur l’emploi allemand

2 min

L’économie allemande souffre plus que le reste de l’Europe et la faiblesse toute relative de son taux de chômage mérite une analyse plus approfondie. Le vent tourne et il faut se méfier des conséquences pour le pays et pour ses partenaires commerciaux

Ecrit par

Sylviane Delcuve

Senior Economist

Le taux de chômage avait bien atteint son point le plus bas, à 4,9% en 2019 mais il est depuis lors remonté à 6%. Ce chiffre peut sembler bas en comparaison avec le reste de l’Europe, mais à y regarder de plus près, la situation n’est pas brillante, et doit nous interpeler, même si la hausse du chômage s'explique aussi par l'afflux d'1 million de réfugiés en provenance d'Ukraine, dont les trois quarts sont en âge de travailler. Bien que 200.000 aient trouvé un emploi, 210.000 reçoivent des allocations de chômage et 300.000 autres soient en formation. Le marché du travail allemand est en pleine évolution et l’avenir s’annonce sombre, à moins que la légendaire capacité à s’adapter et à anticiper n’opère à nouveau, comme ce fut déjà le cas à de nombreuses reprises dans le passé.

L’industrie souffre

La semaine passée, le groupe VW a annoncé son intention de fermer des usines en Allemagne, ce qui constitue une première en 87 ans d’existence. L’automobile est un secteur phare en Allemagne, avec presque 800.000 emplois et un chiffre d’affaires de plus de 560 milliards €, pratiquement l’équivalent du PIB belge. Cette industrie essuie depuis quelques années des vents extrêmement contraires qui aboutissent à la déroute actuelle : explosion du coût de l’énergie, difficultés à exporter, sans oublier les changements technologiques drastiques qui feraient tourner la tête à n’importe quel patron. Le secteur a déjà perdu plus de 6% de ses emplois en 2 ans et la tendance va se poursuivre, car 60% des constructeurs allemands interrogés récemment disent vouloir réduire davantage l’emploi au cours des 5 prochaines années, malgré la difficulté de licencier en Allemagne. Continental, troisième fournisseur allemand avec un chiffre d'affaires annuel de 41,4 milliards €, a décidé de se retirer du secteur des pièces automobiles et de se concentrer sur les pneus. Il supprime des milliers d'emplois alors qu'il se prépare à se séparer de ses capteurs et de son unité de systèmes de freinage. L’entreprise cherche toutefois à ne pas perdre ses employés qualifiés, et organise depuis peu des sessions de formation afin de préparer la reconversion de ces employés vers des domaines qui resteront porteurs : la robotique, la logistique ou encore l’électricité. Espérons que ces bonnes pratiques se généralisent, et que d’autres pays suivent cet exemple !

La chimie délocalise

La chimie allemande qui est également un gros pourvoyeur d’emplois qualifiés, vit aussi des moments difficiles car le secteur est très gourmand en énergie, ce qui l’oblige aujourd’hui à délocaliser hors de l’Europe. BASF est ainsi occupé à quitter l’Allemagne pour étendre son activité au départ de l’Asie. On sait depuis un moment que de nombreuses entreprises de taille moyenne ont le même raisonnement, nous l’avions évoqué lors d’un article précédent.

Destructions d’emplois qualifiés

L’Allemagne a donc beau afficher un taux de chômage relativement bas, cela cache une réalité dont il faut être conscient. Les emplois qui sont en train de disparaître dans l’industrie allemande sont des emplois bien payés, qui donnaient du pouvoir d’achat à la population et permettaient de limiter les dépenses publiques tout en faisant rentrer de l’argent dans les caisses de l’État via la fiscalité qui s’applique à ces revenus. Au cours des 12 mois allant de mai 2023 à mai 2024, ce sont plus de 100.000 emplois qualifiés de ce type qui ont été perdus, alors que le secteur des soins de santé, lui, créait 50.000 emplois. Le problème est que ces nouveaux emplois, ainsi que ceux qui ont été créés dans l’enseignement ou dans l’administration publique sont nettement moins bien payés, ce qui implique une dégradation du niveau du pouvoir d’achat et moins de recettes fiscales.

Impact européen

Comme l’économie allemande est en mauvaise posture et s’est contractée au cours de 3 des 6 derniers trimestres, certains pensent aussi que les entreprises conservent plus de travailleurs que nécessaire. Au lieu de supprimer des emplois, les gens sont maintenus en poste par crainte que le vieillissement rapide de la société allemande n'entraîne une pénurie généralisée de main-d'œuvre qualifiée. En conclusion,  les chiffres du chômage allemand sont nettement plus inquiétants qu’il n’y parait à première vue et les répercussions au plan européen pourraient être multiples : finances publiques allemandes fragilisées, locomotive européenne en panne, délocalisations qui affaibliraient l’Europe. Surveillons cela de près !